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mardi 28 avril 2015

Notre démocratie peut-elle devenir coopérative ?

Ma courte expérience politique m'a ouvert les yeux sur certaines caractéristiques de notre système électoral. Avant, je pensais naïvement que les élus étaient choisis par le peuple. Maintenant je comprends qu'ils sont surtout cooptés par leurs pairs au sein des partis. Les élections sont une compétition qui se prépare à long terme et dont les étapes de sélection, des pools aux quarts de finale, se jouent loin des yeux du public. 
La conséquence la plus évidente de ce système est le rejet de la politique par les citoyens et le refus des jeunes de s'y engager. L'image du politicien qui ne pense qu'à gagner et conserver son mandat n'est pas entièrement fausse, il s'agit trop souvent d'une nécessité. Je vais commencer par explorer les causes et les conséquences du modèle compétitif. Je vous exposerai ensuite pourquoi je pense que ce modèle est obsolète. Enfin j'essaierai d'imaginer un système politique démocratique et coopératif pour notre société.

En quoi la compétition est-elle utile ?

L'hypothèse fondamentale de notre système social, qui a été vérifiée en grande partie jusqu'ici est que la liberté individuelle sert l'intérêt collectif. C'est en effet la thèse d'Adam Smith pour le système économique libéral, qui suppose que chaque producteur indépendant va naturellement servir le bien de tous. Un autre économiste, Nash, a montré que l'équilibre est plus subtil. Chaque acteur doit en effet arbitrer entre son intérêt à court terme (plutôt individuel) et à long terme (plutôt collectif) car il arrive que ceux-ci soient contradictoires. La traduction de ces idées dans notre économie est l'équilibre entre la liberté et la régulation dans le système concurrentiel. Le régulateur s'assure que le marché primera sur l'acteur par le jeu de la concurrence. Notre République applique ce principe à la politique : les hommes et femmes politiques sont en compétition pour les mandats et c'est l'électeur qui va valider lequel de leurs intérêts individuels est compatible avec le sien.

Ce fonctionnement a servi les progrès accomplis depuis le début du XIXe siècle. Il a donné à ceux qui avaient la plus forte volonté de réussir les moyens de leur action, jusqu'à leur associer par l'entreprise, les syndicats ou les partis des soutiens, des suiveurs ou des subordonnés (toujours libres et volontaires dans une certaines mesure). La diversité des idéologies et modèles économiques et sociaux a longtemps donné du fond et du sens à cette compétition. Dans son rôle d'arbitre, le citoyen a un réel pouvoir souverain. Les candidats doivent lui plaire à tout prix.

En quoi ce modèle est-il nuisible ?

Ce système a cependant des limites et des conséquences négatives. Celle qui me tient le plus à cœur est la détérioration du lien humain. La compétition permanente ne nous permet pas d'aimer notre prochain comme nous-même. Nous pouvons toujours aimer l'autre, à condition que ses intérêts rejoignent les nôtres, qu'il nous soit profitable. Or cette convergence est instable, elle ne dure pas. La question de Nash devient une obsession, dois-je soutenir ou trahir mon ami, mon parti, mes électeurs, pour atteindre mes objectifs ?

Je vois une seconde conséquence frappante, que nous essayons de compenser par la contrainte légale : le manque de femmes en politique. Je crois sans aucun machisme que notre culture et notre éducation des enfants prépare plus les hommes à la compétition et les femmes à la coopération. L'ambiance du milieu politique a de quoi rebuter les moins compétiteurs, elle prive notre pays de nombreux talents.

La première qualité de nos dirigeants est la capacité à mener une bonne campagne électorale. A quoi servent toutes les autres valeurs et compétences si vous êtes incapable de gagner un mandat ? Nous le constatons sans cesse, cette qualité ne suffit pas à bien gouverner et ne répond plus aux besoins d'un monde devenu coopératif, horizontal et connecté en réseau. Étant donné notre besoin de communication et de coopération, je parie que l'âge d'or des femmes dirigeantes arrive. 

La dernière conséquence que je veux aborder, il y en a bien sûr d'autres, est le système clanique des partis. L'humanité a vite compris que le meilleur moyen de vaincre est par le nombre. Nous coopérons au sein d'un groupe en compétition avec les autres, l'agglomération des groupes s'adapte en permanence aux forces rivales. Ainsi les formations politiques proches se rassemblent quand elles sont faibles et se déchirent au lendemain de la victoire. Pour les hommes et femmes qui les composent, la pression est permanente : soyez fidèle au groupe quoiqu'il arrive sinon vous êtes exclu et broyé. Mettons-nous à leur place au moment de lever l'immunité d'un équipier. Que choisir ? Vos valeurs, vos électeurs et la France ou votre équipe ? 

Pourquoi tourner la page sur ce système ?

A ce point de ma réflexion, j'étais désespéré. Puis j'ai entendu lors de conférences ou d'échanges avec d'autres militants que plusieurs souhaitent changer cette situation. L'obsolescence de notre modèle compétitif est de plus en plus visible. Prenons l'exemple des jeux de société. Pendant longtemps ils organisaient tous l'affrontement des joueurs, parfois en équipes. Nous en trouvons désormais qui imposent d'optimiser la coopération de tous les participants pour gagner ou perdre collectivement face à une menace. Ce n'est pas anodin car la manière dont nous jouons reflète et structure notre lecture du monde. Or les défis auxquels nous sommes confrontés tels que le chômage de masse, les risques environnementaux ou les crispations identitaires sont profondément différents de ceux du passé tels que le choix entre capitalisme et communisme, monarchie et république, égalité et équité, etc. La répartition des richesses et du pouvoir devient secondaire alors que l'humanité joue son avenir. Nous sommes face à des phénomènes qui nous touchent tous et que nous devons vaincre ensemble. Nous en avons le sentiment, voir des politiciens se battre pour des places au lieu de se battre contre nos problèmes est insupportable. 

Les technologies et l'économie nouvelles nous enseignent par la plume de Metcalf que la puissance d'un réseau est le carré du nombre de ses participants. Nos partis, nos institutions et notre société civile seront d'une puissance formidable s'ils composent un seul réseau. Tout cela est prometteur en théorie mais compliqué à appliquer au gouvernement du pays.

Comment concilier démocratie et coopération ?

La fin de la compétition serait l'arrêt de la démocratie, le système du parti unique est fréquent en dictature. Il est d'ailleurs très efficace en Chine et désastreux en Corée du Nord. Nous ne voulons certainement pas en arriver là. Nous devons au contraire inventer une nouvelle forme de gouvernance qui renforce la place du peuple. Je vois plusieurs critères à remplir pour relever ce défi : valoriser les acteurs publics selon leur impact sur la société, assurer un dialogue ouvert et permanent, maintenir (rétablir) notre capacité à décider et construire efficacement, ne pas écraser nos vies sous une usine à gaz technocratique. 

Vous avez sans doute des idées pour chacun de ces points, écrivez-les donc en commentaire pour enrichir notre réflexion. Voici les miennes :
Supprimer le "package candidat-programme". Confier un mandat politique équivaut à recruter pour un poste en entreprise, le jury est simplement plus nombreux. Ce qui doit compter est la compétence du candidat, la combinaison de son savoir, son savoir-faire et son savoir-être. Il devrait nous parler de ses expériences, les réussites comme les échecs et ce qu'il en a tiré, de ses connaissances academiques, pratiques et relationnelles, et enfin de ses valeurs, qualités et défauts. Nous pourrions proposer une simple feuille A4 sur laquelle chacun se présenterait selon nos critères. Quant au programme, nous l'établirons ensemble par pas réguliers, comme je l'expose plus bas.
Séparer dans chaque parti une branche électorale (qui existe déjà) et une branche sociétale (que nous devons bâtir). Cette dernière serait le prémisse des institutions que ce parti entend gérer ou mettre en place. Ils est inutile d'attendre un mandat pour être utile à la communauté, puisque c'est le souhait premier de tous les hommes et les femmes politiques (je le pense). Il ne s'agit pas de se substituer à l'Etat ou la société civile, mais de créer les liens, les connections et le dialogue entre eux, de faire vivre le débat et collecter le souhait de tout ou partie de la société concernant les décisions à prendre.
Élaborer un plan à long, moyen et court terme dans de grands débats nationaux et locaux, selon un fonctionnement "wiki" animés par les partis et ouverts à tous les contributeurs. Ils seraient respectivement choisis par exemple tous les 10 ans, 3 ans et 1 ans. Les élus auraient alors la charge de les appliquer au mieux et la liberté d'ajuster leur action en fonction de l'actualité du monde.

Au-delà des idées, comment agir ?

Je crois que ces trois actions sont accessibles et auraient un impact énorme sur la santé de notre démocratie. Puisque j'y crois, j'agis. En tant que président des Jeunes Démocrates du Rhône, j'ai travaillé pendant deux ans en priorité à notre formation et notre cohésion pour nous préparer à nous rendre utiles. J'ai incité nos militants à s'impliquer dans des associations et leur conseil de quartier, je le fais moi-même à Gerland. J'ai participé aux élections municipales pour soutenir l'équipe que je croyais plus efficace pour la ville, cela m'a permis de les connaître et de collaborer malgré la diversité de nos idées (que tous ont respectée). Je me lance maintenant derrière Jean Lassalle dans un projet associatif de dialogue citoyen qui pourra inspirer tous les partis pour construire leur branche sociétale, et je porte cette idée au MoDem comme dimanche 26 en préparation des élections régionales

Vous tous, dans vos engagements associatifs et professionnels, l'expression de vos souhaits et vos idées (notamment sur Internet), les valeurs de partage et de coopération que vous portez autour de vous, vous êtes aussi les acteurs du renouveau démocratique par lequel nous relèverons les défis de notre temps.


3 commentaires:

  1. Bonjour, vous dites ; "La fin de la compétition serait l'arrêt de la démocratie, le système du parti unique est fréquent en dictature." le parti unique n'empêche pas du tout les conflits de pouvoir et la compétition..

    J'ai bien aimé vos premiers paragraphes sur la compétition.

    Dans le monde politique, la compétition existera toujours, ce qu'il est urgent de faire c'est de précariser les fonctions de pouvoir, en . - a) limitant le temps du pouvoir (question du mandat ; cumulatifs ou successifs) - b) contrôlant les pouvoirs, - c) diversifiant les moyens de parvenir au pouvoir ( modalités électorales).

    Sur mon blog "Changer la République" ; la question de "la précarisation du pouvoir" était mon premier article.

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  2. Le général De Gaulle fustigeait déjà avec véhémence le régime des partis… essentiellement pour son incapacité à prendre des décisions courageuses. Les hommes qui constituent une partie s'auto désigne en respectant la règle non écrite : « qui t'a fait roi ? »
    Vous ne rentrez pas dans les détails de l'auto désignation. Les mécanismes ne relèvent en aucune façon la compétence, de l'intégrité, du sens du bien commun des candidats. Certains suivent un cursus honorum qui passe par les mandats locaux, ce sont les meilleurs ? Mais le plus souvent c'est des appartenances à des groupes plus ou moins secrets, ce qu'on peut appeler pudiquement le réseau ! Aujourd'hui avec un présent de la république qui a toujours fonctionné avec des amis issus du clan on est arrivé un paroxysme insupportable.
    Comment expliquer la nomination de Jacques Toubon, au poste de défenseur des droits d'un président socialiste ? Cette personne homme lige de Jacques Chirac a été mêléee à toutes les affaires les plus douteuses de financement du RPR. La réponse simple son appartenance à la loge maçonnique du président…

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  3. Bonjour, vous avez des réflexions que je partage. Je vous conseille la lecture de "Principes du gouvernement représentatif" de Bernard Manin qui vous permettra certainement d'approfondir vos réflexions sur le rôle compétitif de l'élection. Peut-être abandonnerez vous l'idée qu'à terme les partis soient capables du changement que vous appelez. Rarement dans l'histoire, une forme institutionnelle créée dans un but précis (ici la représentation de masse des ouvriers par la compétition électorale à la fin du XIXe siècle pour les partis) n'a pu servir un objectif radicalement différent comme la coopération. Les partis doivent être compris dans la transition coopérative, mais ils n'en seront pas au coeur. Une résolution de crise qui aurait des chances d'aboutir passe par le dépassement des institutions existantes.

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