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mercredi 26 avril 2017

Confier la France à un banquier ?

Je lis et j'entends autour de moi qu'il ne faut pas confier la France à un banquier. Certains mettent même à égalité le fait d'avoir été banquier et celui d'être ouvertement xénophobe.
Je disais en 2008, à ceux qui croyaient que la crise était passée : "on mesurera son ampleur lorsque la foule s'en prendra aux traders". Nous y sommes, tout notre système économique et malade et on cherche frénétiquement un coupable à défaut de remède. Des charlatans prospèrent en proposant comme solution les méthodes mêmes qui nous ont mis dans cet état : la création monétaire, l'inflation, la relance par la consommation, la guerre économique entre Etats européens. Ils nous semblent pourtant dignes de confiance puisqu'ils n'ont jamais travaillé dans l'économie réelle.
Source : http://www.la-croix.com/France/Politique/CHRONOLOGIE-Emmanuel-Macron-grandes-dates-parcours-2017-04-19-1200840584
Oui, le fonctionnement actuel et le manque de régularisation de la finance posent problème. Est-ce que pour autant tout ceux qui travaillent dans ce domaine sont des monstres avides ? Non.

Je veux vous partager un témoignage personnel, car j'ai été confronté il y a quelques années à ce préjugé. Je fais partie de ceux qui ont choisi d'étudier la finance car je suis convaincu que la France a besoin de telles compétences pour sortir du marasme, je crois que c'est aussi le cas d'Emmanuel Macron. Je vous rappelle qu'il a passé dans son parcours 4 ans dans une banque d'affaires et le reste au service de l'Etat. Pourquoi ne le nomme-t-on jamais "l'ancien inspecteur des finances" ? Par calcul politique.

A 23 ans, un groupe français m'a confié le contrôle de gestion d'une filiale de 600 salariés en Hongrie. Lorsque je suis arrivé sur place, mes collègues Hongrois qui s'occupaient d'une autre filiale m'ont expliqué qu'on m'envoyait vers un bastion anti-groupe et anti-français. J'ai eu le rare privilège qu'on me pose la fameuse question "il n'y a pas de travail dans ton pays ?". J'ai senti l'animosité dans les regards, qu'une collègue m'a expliqué à la fin de ma mission "quand ils te regardent ils voient un billet vert qui marche". 
J'avais 6 mois pour mettre en place un contrôle de gestion transparent et rétablir la confiance entre le groupe et sa filiale. Si j'échouais, je sentais que cette filiale risquait d'être vendue. Nous étions en 2009, au cœur d'une crise économique que je savais durable. 
Ma première mission était de détailler le contenu d'un plan d'économies déjà annoncé par la direction. Ma filiale avait annoncé la suppression de 9 postes et ma première visite officielle visait à comprendre comment cela serait fait. Je me suis installé face au directeur et à sa responsable financière, un traducteur entre nous, puis nous avons engagé une discussion tendue. Ce qui m'a vraiment marqué est arrivé lorsque mes interlocuteurs sont sortis chercher des documents. Le traducteur s'est alors tourné vers moi :
"Je profite que nous sommes seuls pour vous poser une question. En tant que traducteur je ne peux exprimer que les questions et les opinions des autres dans la conversation, mais je suis curieux. Est-ce que vous aimez ce que vous êtes en train de faire ? Est-ce que vous y prenez du plaisir ? Je comprends que vous êtes jeune et ambitieux, mais est-ce ce que vous voulez faire de votre vie ?"
A 23 ans, à peine sorti de l'école, en voilà une bonne question. Je suis reconnaissant à cet homme pour sa franchise, car bien des gens s'interrogent de la même manière sur les financiers et restent sur leur préjugé. Voici ce que je lui ai répondu après trois secondes de silence.
"Dans mon métier il y a des gens qui cherchent l'intérêt des salariés et de l'entreprise. Il y a aussi des requins qui ne pensent qu'à eux et à l'argent. Je suis ici pour faire les choses le mieux possible dans l'intérêt de tous. Je viens aujourd'hui avec l'idée d'accompagner vos suppressions de postes par des redéploiements dans des activités rentables pour ne licencier personne. Si je laisse ma place à un autre, vous aurez face à vous un requin qui n'essaiera pas de vous comprendre et de vous défendre, il se contentera de vous faire licencier 9 personnes, n'importe lesquelles."

Lorsque j'ai fait mon reporting à la direction financière du groupe, elle était surprise de recevoir de notre part le plan d'économies le plus clair de toutes les filiales. Elle a tout accepté en l'état. 6 mois (et aucun licenciement) plus tard nous étions reconnus comme un modèle de transparence et une entreprise bien gérée. 

Travailler dans la finance n'est pas toujours facile, comme bien d'autres professions d'ailleurs. Le faire avec bienveillance est encore plus dur car il ne faut attendre aucune reconnaissance. J'ai pourtant croisé dans ce métier plus d'hommes et de femmes intègres que dans beaucoup d'autres. La rigueur mathématique qui nous pousse vers un métier de chiffres s'accompagne souvent d'une forte rigueur morale. Un directeur m'a un jour reproché d'être "rigide comme un pasteur protestant". Je l'ai pris comme un compliment.
Alors traiter quelqu'un qui a œuvré 4 ans dans la banque d'affaires comme un pestiféré, cela véhicule l'idée qu'il faut réserver ces tâches à des gens sans foi ni loi. Réduire une personne à un métier (qu'il n'exerce plus depuis plusieurs années d'ailleurs) ce n'est pas mieux que la réduire à ses origines. Certains diront peut-être "oui mais lui ce n'est pas pareil" ou "oui mais toi ce n'est pas pareil". C'est comme ces gens qui disent "je n'aime pas les étrangers mais toi ce n'est pas pareil". Eh bien si, c'est pareil.