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mardi 2 décembre 2014

Réinventer la politique ?

J'assistais ce soir à une conférence organisée par Acteurs de l'économie avec l'IEP de Lyon.
Le sujet n'est pas simple : réinventer la politique. Jean-Paul Delevoye, Pascal Perrineau et Denis Muzet ont partagé avec nous leurs réflexions.
Cette conférence prend place dans le cycle Tout un programme, qui a abordé de nombreux thèmes avec un constat récurrent : l'impuissance du "politique". Celui-ci est perçu comme un obstacle, le manque de confiance a laissé place au rejet. 
Une vision sombre du monde nous est livrée en introduction. Une lumière d'espoir luit dans une description flateuse des citoyens et l'orateur nous rappelle que les élus intègres existent. Malheureusement les partis politiques sont devenus des appareils d'élus, mais ils doivent tout de même remettre en question les institutions et leurs modes de fonctionnements internes.
Tandis que la démocratie a besoin d'être complétée par la responsabilité citoyenne des personnes physiques et morales, comment sortir celles-ci de leur silence ?

Nous assistons à un big bang de la démocratie représentative.

Perrineau commence par préciser que les partis sont l'institution la plus touchée par la défiance. 
La France est un pays marqué par la faiblesse de ses corps intermédiaires. Seuls 7% des salariés français adhère à un syndicat, et 2% des citoyens à un parti politique. Cette défiance se transforme en rejet, le mot le plus associé par les Français à la politique est "dégoût". 
Il y a deux débouchés à cette haine. Le premier évoqué consiste à se détourner de la politique pour agir par d'autres canaux. Si le peuple ne se fie pas à ses représentants nationaux, la confiance de proximité, en soi-même et les petites structures, est forte. Il y a une coupure entre les citoyens et les professionnels de la démocratie. Le politique tourne sur lui-même comme une toupie folle, les partis s'occupent avant tout à distribuer les investitures.
L'autre débouché est la politisation du rejet, que certains partis manient habilement. Il faut y être très vigilant car derrière se cache un rejet profond de la démocratie participative. Certains commencent à envisager que celle-ci traverse un hiver en Europe.

Le politique doit s'adapter à une société nouvelle.

Delevoye pose d'entrée deux principes, l'un pessimiste et l'autre optimiste. Changer l'institution ne permettra pas de régler les problèmes de notre société, mais nous sommes peut-être dans une rupture salutaire. 
Selon le président du conseil économique social et environnemental, nous ne sommes pas en crise mais en métamorphose. 
La nature profonde du système français est selon lui verticale : un roi, une religion pour un peuple. Cependant dans la société contemporaine le rôle du décideur n'est plus d'être au-dessus du peuple mais d'être en son cœur.
En effet la mondialisation abolit la notion de frontières et de territoires, le politique ne peut plus dominer. La circulation des capitaux et des idées n'ont plus de limites. Les menaces ne sont plus à nos frontières mais au plus près de nous par les technologies. Les bases de données ont remplacé la bombe atomique dans la course à la superpuissance. La valorisation boursière des 4 principales entreprises des NTIC dépasse celle du CAC40.
Dans cette situation d'affaiblissement du pouvoir, on ne peut pas gérer le peuple par des émotions mais par des convictions. Le politique est stupide de croire encore à son pouvoir, car il ne représente ni ceux qui créent la richesse et ni ceux qui y échouent et se trouvent exclus. 
On a quitté le choc des idéologies pour les calculs de conquête du pouvoir. L'offre politique n'est plus au service d'une espérance, tandis qu'on peut se demander si la socialisation par la famille et le travail sont encore possibles. La société actuelle est alors fondée sur le mépris et la valorisation de l'échec. Nous devons au contraire valoriser les talents, promouvoir l'égalité des parcours, des opportunités. 
Delevoye l'affirme, la situation de rejet du politique rend toutes les aventures possibles, les mauvaises en particulier. Il oppose le politique et l'entreprise par leurs buts, la tranquillité contre la performance. Tandis que l'économie apprend, s'adapte, prend des risques et grandit, le milieu politique cherche à se protéger par le conservatisme et le malthusianisme. 
Il faut absolument changer ce fonctionnement, voir les talents comme des opportunités plutôt que comme des rivaux. Le vrai débat est donc l'efficience du monde politique.

Les médias nous donnent de la médiatisation quand notre société a besoin de médiation 

Muzet identifie 4 piliers de la démocratie qui subissent le même rejet : politique, médias, syndicats, finance.
Il affirme que Nicolas Sarkozy a compris que "dire c'est faire", au point que la communication se substitue à l'action. 
Les Français passent plus de la moitié de leur temps d'éveil avec les médias. Les mythes médiatiques ont remplacé les idéologies. Les médias racontent des histoires pour leurs audiences au lieu de montrer la réalité, leur prisme est déformant. L'arrivée au pouvoir du Front National est par exemple une de ces histoires, anticipée et mise en scène. La vie réelle est plus heureuse que ce qui en est montré. La souffrance des Français serait provoquée par les représentations médiatiques, qui alimentent la haine du politique.
Le format actuel de l'information est bref et continu, les gens n'ont jamais été aussi informés et n'ont jamais compris aussi mal leur monde. Ils retiennent que la catastrophe menace et qu'ils n'en sont pas protégés.
Puisque les politiques calent leur discours sur le contenu et le format des médias, aucun acteur ne peut plus s'exprimer au-dessus de ce bruit de fond.
Le politique est en partie discrédité car il est inaudible. Enfermé dans l'instantané, il ne peut que décevoir. La société s'en trouve dans un état de fébrilité constante, même les contre-pouvoirs sont usés, les ONG sont ainsi en recul dans les indices de confiance. 
Pourtant 65% des Français pensent que le déclin n'est pas irréversible. Ils sont à la recherche de nouveaux médiateurs. En particulier, ils attendent des acteurs qui réfléchissent à long terme, ils chérissent d'ailleurs les associations de défense des consommateurs. Ils veulent du bottom-up, de la création de richesse, ils aiment l'entreprise, surtout si elle est petite. Les acteurs les mieux vus sont les individus auto-réalisés. Les Français disent qu'ils veulent se servir eux-mêmes pour se réaliser, plutôt que servir un système dans lequel ils ne se réalisent pas.

En pratique, que faire ?

Si ces apports académiques alimentent notre pensée, ils doivent aussi nourrir notre action. Je crois que les partis peuvent devenir les médiateurs que les Français attendent à quelques conditions, non exhaustives :
  • Identifier, mettre en réseau et valoriser les talents de la société civile 
  • Développer des activités citoyennes distinctes de leurs objectifs électoraux 
  • Formuler leur idéal cible, dessiner la société vers laquelle ils veulent tendre à long terme 
  • Bâtir une organisation interne plus semblable à une flotte de petits navires qu'à un gros cargo 
  • Rétablir la confiance entre eux et entre leurs propres militants, par l'adoption de règles éthiques 


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