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mardi 8 décembre 2015

Lettre aux électeurs du Front National


Mesdames et messieurs les électeurs du Front National,

J'ai 30 ans et je me suis engagé il y a 4 ans en politique, au centre. C'est en partie pour vous que je me suis lancé dans cette activité bénévole, je voulais freiner l'avancée de l'extrême droite. Je vous en ai longtemps voulu de soutenir de telles idées. Dimanche j'ai tenu un bureau de vote, j'ai vu passer 128 d'entre vous qui sont aussi mes voisins. Nous nous sommes souri, parlé, je n'ai vu aucune différence avec les autres électeurs. Maintenant je veux vous parler, pas de ce qui nous sépare mais de ce qui nous unit.

Aussi loin que je me souvienne, j'ai grandi avec l'idée que je devais travailler dur à l'école pour ne pas finir au chômage. L'enfance était une compétition, à la fois sprint et marathon, la société n'avait pas de place pour tout le monde. Je me suis battu pour réussir par les études, d'une école de village, un lycée de banlieue, je suis allé en classe préparatoire et dans une école de commerce. Mes parents se sont sacrifiés plusieurs années pour m'aider à trouver la place que je voulais dans ce monde. En stage à l'étranger, on m'a demandé s'il n'y avait pas de travail dans mon pays pour que je vienne voler celui des Hongrois. Jeune diplômé, aucune entreprise ne semblait savoir que j'avais des compétences à lui apporter, elles voulaient toutes de l'expérience. J'ai vu des ingénieurs pleurer de ne pas trouver d'emploi avec un bac+5 dur à obtenir. En politique, la vieillesse semble être une compétence inégalable, les jeunes doivent obéir pour réussir.

Je n'ai pas de quoi me plaindre, j'ai obtenu une place, un rôle, un emploi. Mais je garde toujours le désagréable souvenir d'une société qui ne voulait pas de moi.

Je sais que les chômeurs, ceux qui ont peu ou pas de diplômes, ceux qui travaillent dans l'artisanat et l'industrie, les personnes âgées isolées, bien d'autres encore vivent cette sensation chaque jour. Je sais que les parents, même ceux qui ne manquent de rien, craignent cette situation pour leurs enfants. Trouvez-vous révoltant de vous sentir si désarmés face à un monde écrasant, si négligés par ceux qui ont obtenu un place dans le système ? Bien sûr que oui ! C'est injuste de jouer nos vies aux chaises musicales ! Qui décide lesquels d'entre nous n'ont pas d'utilité pour la France ? Que peut-on faire d'autre que détruire une société si inique ?

En 2008 j'ai cru que le capitalisme financier allait s'effondrer. J'ai espéré que l'urgence nous conduirait à inventer un nouveau système économique. En 2012 j'ai cru que le PS et l'UMP allaient imploser et laisser la place à un nouveau paysage politique. En 2015 je crois que la transition environnementale et les nouveaux codes culturels des jeunes vont faire apparaître une société plus saine et coopérative. En fait rien ne change car nous n'avons pas d'alternative. Nous savons que nous ne voulons plus du monde dans lequel nous avons grandi, mais nous n'avons aucune idée de celui qui pourrait le remplacer. Comme vous, j'en ai marre de vivre une compétition interminable, de n'être qu'un pion sur l'échiquier des autres, de faire ce que je peux plutôt que ce que je veux. Vous croyez que voter FN fera tomber le système pour qu'un autre meilleur prenne sa place, il n'y a sur ce chemin que la misère et la haine, aucune alternative crédible. Le système ne tombera que lorsque nous pourrons nous en passer.

Car il faut le dire, vous et moi nous sommes coupables. Nous achetons des produits fabriqués par des enfants chinois car nous essayons de vivre au mieux selon nos moyens. Nous ne votons pas pour des candidats jeunes et jamais vus à la télé, les vieux qui passent aux infos nous rassurent. Nous prenons l'emploi ou les aides sociales que nous pouvons. Nous acceptons chaque jour les règles d'un système que nous détestons car nous n'avons pas idée de comment faire autrement. Le Front National ne fera pas mieux là où il gagnera car il n'a pas l'ombre d'une solution. Ses propositions sont pétries de nostalgie et de peurs, comme si se rouler en boule ou revenir sur ses pas avait déjà permis de gagner une course.

Alors que faire ? Devez-vous continuer à alimenter le système en votant pour les partis habituels ? Oui, tout comme vous continuez à aller travailler ou chercher un emploi et à consommer. Oui, parce que c'est le choix qui nous donne encore un peu de temps pour trouver une solution. Nous sommes comme un adolescent en crise. Il veut quitter le foyer familial, mais il doit accepter des règles qui lui déplaisent tant qu'il ne peut pas subvenir à ses besoins. Comme lui, nous devons faire des études, trouver un travail et un logement avant d'être libres et indépendants.

Regardez sur internet : les outils collaboratifs se multiplient pour écrire des encyclopédies, financer des projets, inventer des choses. Regardez dans les associations : les gens s'entraident, changent le monde qui les entoure à coups de petits projets, la politique hors des partis émerge. La génération Y, celle qui demande "pourquoi" est au travail. La génération suivante, dite "connectée", casse les codes et réinvente la culture, les chemins de la réussite et de l'entrepreneuriat. Nous allons réussir, nous allons inventer une alternative au système que nous avons hérité du XXème siècle. Pour cela il faut que vous nous donniez une chance et du temps. Venez dans les associations et sur internet faire société avec nous, mais ne mettez pas le feu à notre maison, ne votez pas pour le Front National. 


1 commentaire:

  1. Eve Roffiaen Modem du Morbihan10 décembre 2015 à 01:09

    Émouvant et vibrant plaidoyer qui lui, n'utilise que les ressorts humanistes pour convaincre, non les peurs et le réflexe du repli sur soi. C'est la jeunesse qui nous sortira de l'enfermement dogmatique où nous nous sommes mis depuis tant d'années et refondera une nouvelle éducation civique.

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